Imaginez que vous soyez brièvement stationné devant la gare pour aller chercher quelqu’un. Vous avez à peine le temps de sortir du véhicule pour ouvrir le coffre que vous retrouvez une contravention collée sur votre pare-brise: stationnement non autorisé dans la zone de dépose-minute. Scandaleux! Et maintenant, considérez que le montant de l’amende n’est pas déterminé de manière neutre, mais par l’agent de police qui a dressé la contravention en personne.
Le prix à payer est élevé
Ce qui serait ressenti comme une concentration insoutenable des pouvoirs sur la voie publique va bientôt devenir réalité sur la place financière: le Conseil fédéral a déclaré vendredi 6 juin vouloir accorder à la Finma la compétence de prononcer directement des amendes. L’autorité de surveillance ne se contenterait plus de détecter et d’identifier les entorses à la loi, mais pourrait aussi les sanctionner.
À première vue, cela ressemble à une bonne idée. En cas d’infractions, la Finma serait ainsi en mesure de réagir plus rapidement, sans devoir solliciter le DFF – un gain substantiel en force de frappe. Or, le prix à payer est élevé: l’introduction de la compétence en matière d’amendes estompe les frontières entre l’exécutif et le judiciaire.
La séparation institutionnelle n'est pas un obstacle
La nouvelle compétence de la FINMA en matière d’amendes contrevient à notre principe constitutionnel de base, à savoir la séparation des pouvoirs. Toute entité assujettie à la surveillance doit s’attendre à ce que les amendes soient prononcées par des instances indépendantes, et non par l’Autorité de surveillance elle-même. La surveillance des marchés financiers est un domaine sensible qui implique un degré élevé de contrôle par l’État de droit. La Suisse a établi un système dual pour de bonnes raisons: la Finma surveille, le DFF sanctionne. Cette séparation institutionnelle n’est en aucun cas un frein, mais l’expression d’un système qui fonctionne sainement.
L’utilité pratique n’est pas avérée non plus. De nos jours, la Finma dispose déjà d’outils performants: elle peut confisquer des gains mal acquis, retirer des autorisations, interdire des modèles économiques ou prononcer des interdictions d’exercer à l’encontre de personnes physiques. De fait, elle détient déjà des pouvoirs quasi judiciaires.
Plus de procédures de recours, plus de coûts
C’est le contraire qui se vérifie: un élargissement des compétences ne reviendrait pas à simplifier la procédure, mais plutôt à la complexifier. En effet, dès qu’il est question de sanctions financières, les exigences juridiques en matière de transparence, d’obligation de motiver la décision et de respect des droits procéduraux se renforcent, et la durée de la procédure s’en trouve rallongée d’autant. Résultat: davantage de procédures de recours, davantage de frais, davantage d’insécurité, ceci pour toute les parties prenantes.
Sans compter que cela menacerait l’indépendance de la Finma puisque la compétence en matière d’amendes pourrait inciter certains acteurs politiques à vouloir exercer une pression accrue et influencer certaines sanctions.
Autre argument régulièrement invoqué: la Suisse devrait s’aligner sur l’Europe – comme si elle était isolée à l’heure actuelle. Or, à y regarder de plus près, il ressort que la situation à l’étranger n’est pas homogène, qu’il existe bel et bien de la place pour des modèles divergents et que la Finma n’a aucun retard à rattraper pour s’affirmer comme «la meilleure de sa catégorie».
L'État de droit ne se mesure pas à la sévérité
Dans certains pays, comme en Allemagne et en Grande-Bretagne, les autorités de surveillance détiennent des compétences en matière d’amendes, mais leurs approches diffèrent (amendes élevées ou mesures réglementaires). Les États-Unis sont connus pour la sévérité de leurs sanctions, en particulier en cas de gros scandales financiers. En revanche, d’autres pays – dont l’Autriche, le Luxembourg ou la Belgique – renoncent sciemment à de telles compétences et s’appuient sur d’autres mécanismes de sanctions tels que des procédures pénales engagées par les pouvoirs publics ou les tribunaux, le retrait de licences ou des restrictions imposées aux établissements financiers, ainsi que des mesures administratives comme des avertissements ou des interdictions d’exercer.
L’État de droit ne se mesure pas à l’aune de la dureté de ses sanctions, mais au caractère rigoureux de sa procédure. Cela implique également une séparation claire des rôles. La Finma est chargée de faire respecter la loi, pas de prononcer des jugements. Tout autre approche reviendrait à saper les fondements mêmes de la confiance en notre place financière. (ASA/hzi/ps)