Au milieu d'un discours sobre, qui n'a pas dépassé la demi-heure, point d'orgue de journées d'immense tension politique, la sentence attendue est tombée: «je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle», a annoncé M. Lecornu dans l'hémicycle du Palais-Bourbon.
«Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028», a précisé le chef du gouvernement, applaudi par les députés PS qui se sont ensuite absentés pour se concerter, en attendant l'intervention en fin de séance de leur chef, Boris Vallaud.
Le chef du gouvernement a également confirmé l'abandon de l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote. «C'est la garantie pour l'Assemblée nationale que le débat, notamment budgétaire mais pas seulement, dans tous les domaines, vivra, ira jusqu'au bout, jusqu'au vote», a-t-il ajouté.
L'exécutif peut ainsi espérer souffler, après une nouvelle crise ouverte la semaine dernière par un gouvernement Lecornu 1 qui n'avait pas tenu une journée, fragilisé dans l'oeuf par la contestation du président des Républicains (LR) Bruno Retailleau.
Un an après la très décriée dissolution de 2024, la pression s'était accrue sur le chef de l'État, son premier chef de gouvernement, Édouard Philippe, allant jusqu'à lui conseiller de démissionner après l'adoption du budget et de permettre ainsi la tenue d'une élection présidentielle anticipée.
Renommé vendredi par le président Macron, M. Lecornu avait "carte blanche", avait expliqué l'Élysée, pour dénouer la crise politique et parlementaire.
Mardi matin, M. Macron avait une dernière fois mis la pression sur les oppositions lors du Conseil des ministres, qualifiant les motions de censure à venir de «motions de dissolution». La France insoumise et le Rassemblement national ont déjà déposé la leur, pour un débat prévu jeudi matin.
Le PS, qui demandait «la suspension immédiate et complète» de la réforme des retraites de 2023, la confirmation de l'abandon du 49.3 et du relâchement de la trajectoire budgétaire, menaçait de déposer sa propre motion de censure dès mardi soir en cas de réponse négative ou évasive du gouvernement.
«Anomalies» fiscales
Adopté mardi matin en Conseil des ministres, le projet de budget de l'État, qui devrait être largement modifié par le Parlement, propose un effort d'une trentaine de milliards d'euros et repose sur des hypothèses "optimistes" de croissance en 2026, selon le Haut conseil des finances publiques.
Le déficit devra «dans tous les cas de figure être à moins de 5% à la fin de la discussion» parlementaire, a précisé M. Lecornu, après avoir présenté un projet de budget avec un déficit de 4,7% du PIB.
Le Premier ministre a par ailleurs reconnu «des anomalies» dans la fiscalité des très grandes fortunes, souhaitant «une contribution exceptionnelle» des plus riches dans le prochain budget.
M. Lecornu a également annoncé une "conférence" sur les retraites et le travail avec les partenaires sociaux. Et promis un nouvel «acte de décentralisation» par un projet de loi déposé en décembre
"Peur des urnes"
Quelle sera la réaction des socialistes ? La suspension de la réforme des retraites est une «première victoire», a en attendant réagi le patron du Parti communiste Fabien Roussel.
Un faux semblant, au contraire, pour le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard, qui a appelé les socialistes à voter quand même la censure en insistant sur les nombreuses mesures de rigueur prévues dans le budget.
Les écologistes, par la voix de leur présidente de groupe Cyrielle Chatelain, ont réaffirmé leur volonté de censurer le gouvernement.
A droite, «nous ne ferons pas partie de ceux qui feront tomber les Premiers ministres», a assuré le patron du groupe Les Républicains Laurent Wauquiez, prônant "le moindre mal" quand "le pire est possible".
Le président du RN Jordan Bardella a brocardé «l'amicale des sauveurs d'Emmanuel Macron» dont «le seul dénominateur commun» serait «la peur des urnes».
Le camp présidentiel était divisé sur la question des retraites, et le parti Horizons d'Edouard Philippe s'est chargé de rappeler ses réserves. «Suspendre la réforme des retraites» est «une dangereuse facilité», a mis en garde le chef des députés Paul Christophe.
La chute du gouvernement «coûterait plus d'argent à la France» qu'une «suspension de quelques mois» de la réforme des retraites, avait au contraire fait valoir dans la matinée l'entourage du garde des Sceaux Gérald Darmanin, proche de M. Lecornu. (awp/hzi/ps)