ASA : Le 3 mars, le peuple suisse s'est prononcé sur deux initiatives concernant l'AVS. Comment jugez-vous le résultat de cette votation ?

Tamara Erhardt : L'adoption d'une initiative populaire syndicale est une première en Suisse. Le débat sur la répartition de l'argent public s'est intensifié dans le contexte des dépenses considérables de l'État lors de la pandémie de Covid et des risques financiers encourus par la Confédération en raison des aides en liquidités lors du sauvetage du Crédit Suisse. La charge individuelle limitée imposée par le financement supplémentaire de l'AVS incite à une utilisation excessive des fonds publics – un phénomène connu sous le nom de « communaux budgétaires ». Le net rejet de l'initiative sur les rentes a en outre balayé une option clé pour un financement durable. Il est désormais crucial de trouver une solution de financement équilibrée afin d'éviter le résultat de répartition négatif qui menace l'AVS dans deux ans déjà.

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Le contrat entre les générations est-il menacé ?

Melanie Häner : La prévoyance vieillesse traditionnelle reposait autrefois sur un contrat intergénérationnel purement intrafamilial, dans lequel les enfants prenaient en charge leurs parents dans la vieillesse. Avec l'introduction de l'AVS il y a plus de 75 ans, ce modèle a été remplacé par un contrat social entre les générations, les décisions étant désormais prises collectivement dans les urnes. L'âge médian des votants étant de près de 60 ans, les besoins des personnes plus âgées l'emportent lors des votations. Les premiers sondages de suivi le confirment : la proportion de « non » à la 13e rente AVS était nettement plus élevée chez les jeunes que chez les seniors. L'un des principaux défis consiste à trouver une répartition équitable des charges d'adaptation entre les cotisants actuels et les bénéficiaires de rentes.

Quelle serait votre recette pour un contrat intergénérationnel réussi ?

M.H.: Le contrat de génération est certes un contrat fictif, mais il est d'une grande importance pour la cohésion sociale. Nous sommes tous liés à deux générations différentes par ce contrat fictif : la génération de nos parents et celle de nos enfants. Pour que ce contrat soit valable non seulement aujourd'hui, mais aussi à l'avenir, nos institutions sociales doivent être adaptées aux changements de la société, notamment à l'évolution démographique.

T.E.: En cas d'accroissement des retraites, la problématique du financement peut en principe être mitigée de quatre manières : en augmentant la TVA, les cotisations salariales, la contribution de la Confédération ou l'âge de la retraite. Une augmentation des cotisations salariales présente l'inconvénient que la charge doit être supportée exclusivement par les actifs, alors que dans le cas de la TVA, elle est également supportée par les retraités. Mais en même temps, le pouvoir d'achat des consommateurs diminue. L'augmentation de la contribution fédérale n'est pas non plus une option valable compte tenu du budget déjà serré de la Confédération.

M.H.: Il resterait l'adaptation de l'âge de la retraite - une solution digne d'un manuel scolaire, car elle agit à la fois sur les recettes et les dépenses. Mais au vu du résultat de la votation de dimanche, il n'est pas certain que cette solution soit susceptible de réunir une majorité. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des garde-fous sous la forme d'automatismes qui modèrent l'appétit de tous les acteurs impliqués - citoyens et politiciens - et qui visent un financement durable. Pourquoi ne pas appliquer le modèle éprouvé du frein à l'endettement à la prévoyance vieillesse ?

Vous avez coécrit un Policy Paper sur le modèle des trois piliers. Qu'est-ce qui continue de rendre ce système si unique plus 50 ans après sa création ?

M.H.: Le modèle des trois piliers s’est établi progressivement en Suisse par le biais de la conjonction de l'action entrepreneuriale, de courants politiques et d’événements marquants comme les deux guerres mondiales. Le premier pilier garantit le minimum vital et repose donc sur un mécanisme fortement redistributif, non seulement des jeunes vers les personnes âgées, mais aussi des riches vers les pauvres. Ce modèle est le fruit d'une évolution historique et a largement fait ses preuves. Ses piliers complémentaires poursuivent des objectifs différents et offrent une bonne diversification des risques en raison de leurs différents mécanismes de financement. (ASA/hzi/ps)

Policy Paper sur le modèle des trois piliers : bilan après 50 ans

Questions de détail et préjugés dominent largement le débat politique actuel sur notre prévoyance vieillesse. Le rôle crucial des différentes interdépendances est ainsi trop rapidement passé à la trappe. Dans leur document intitulé « Le modèle des trois piliers de la prévoyance vieillesse suisse : bilan après 50 ans », les auteurs Melanie Häner, Tamara Erhardt MA, Nadja Koch et le professeur Christoph A. Schaltegger éclairent dans le détail le fonctionnement de la prévoyance vieillesse suisse. Le document explique la genèse, les objectifs et le fonctionnement des trois piliers. Les auteurs passent au crible le modèle de prévoyance, le comparent à certaines solutions adoptées par d'autres pays européens et s’essaient à une projection dans l'avenir.