L’assurance RC protège le patrimoine du responsable qui peut être affecté par l’obligation de réparer un dommage causé à autrui. C’est ainsi qu’elle a été conçue originellement ; c’est pourquoi elle repose sur un fondement contractuel qui, par principe, ne revêt aucun caractère obligatoire. Il reste que le législateur avait entrevu l’intérêt de cette institution pour la victime, en raison des garanties de solvabilité qui en découlent. C’est la justification du droit de gage sur l’indemnité d’assurance et de la prérogative figurant dans la loi sur le contrat d’assurance (LCA) permettant à l’assureur de fournir sa prestation directement en mains du tiers lésé.
Le législateur établit ainsi une claire distinction entre responsabilité et assurance. Au fil du siècle passé, il réalise néanmoins que l’assurance peut constituer un complément à la responsabilité, en particulier lorsque cette dernière vise des risques graves, tolérés toutefois parce qu’ils se rapportent à l’exercice d’activités susceptibles de bénéficier au plus grand nombre. La collectivité veille alors à la réparation des dommages qui pourraient en résulter. La responsabilité sans faute constitue un pilier de cette conception. De surcroît, le législateur considère, en pareil cas, que la réparation du préjudice peut justifier une obligation d’assurance, voire un droit d’action directe de la victime contre l’assureur et l’interdiction faite à ce dernier d’opposer les exceptions découlant du contrat d’assurance. Ce régime ne prévaut toutefois que si la loi le prévoit et ce, dans le contexte particulier de certains risques. Il a été adopté en matière de circulation routière, à une époque où l’assurance sociale n’était encore que l’ombre de ce qu’elle est devenue, à savoir un édifice solide et omniprésent. Il en résulte un système d’une certaine complexité, certes, mais qui vise à maintenir l’assurance RC en équilibre entre sa nature contractuelle, dans l’intérêt et conformément à la volonté du responsable qui l’a souscrite, et son utilité pour la victime, là où la gravité de certains risques impose une rigoureuse obligation de réparation.
Généraliser le droit d’action directe n’a aucun sens en soi. De plus, il serait contraire à la logique de prévoir une action directe en matière d’assurance facultative ou encore lorsque l’assureur est en droit d’opposer les exceptions qui résultent du contrat d’assurance. C’était pourtant l’option envisagée par le Conseil national lors des débats de mai dernier. En septembre, le Conseil des Etats a toutefois adopté sur ce point une position différente, conforme à la proposition du Conseil fédéral de mai 2017, laquelle propose d’étendre le droit d’action directe aux seuls cas dans lesquels le responsable ne peut être recherché par la victime (insolvabilité notamment). Or, la proposition du Conseil national reparaît à l’ordre du jour de la procédure d’élimination des différences. Cela nous paraît critiquable.
Toute réflexion sur le rôle de l’assurance RC impose de placer le risque et la responsabilité au cœur du débat ; la question de l’assurance est subordonnée. Or le risque et la responsabilité sont l’objet de lois spéciales ; c’est donc dans ces dernières que les modalités d’assurance doivent être envisagées aussi.
Généraliser l’obligation d’assurance RC et l’assortir systématiquement d’un droit d’action directe porterait une atteinte considérable à la liberté contractuelle et à l’autonomie des parties, retirerait à l’assuré responsable toute liberté d’action dans le règlement du dommage qu’il a causé, conduirait à confondre le sujet de responsabilité et l’assurance, sans distinction entre les types de préjudices (corporels ou matériels) et sans différenciation entre les types d’assurance (obligatoire ou facultative). Autrement dit, l’assurance créerait le risque. Un tel régime, par ailleurs inconnu sous cette forme à l’étranger, aurait pour effet additionnel de réduire notablement la fonction préventive du droit de la responsabilité, alors même que cette dernière fait l’objet d’un regain d’intérêt, dû aussi à l’expansion de l’assurance sociale. Enfin, cela pourrait entraîner une limitation de l’offre de produits d’assurance dans la mesure où la maîtrise de certains risques pourraient devenir par trop aléatoire.
La solution préconisée par le Conseil fédéral paraît appropriée : elle prévoit d’étendre le droit d’action directe dans les seuls cas dans lesquels le responsable ne peut être recherché (insolvabilité notamment). Cette modalité améliore encore la situation de la victime, sans pour autant mettre en cause les fondements d’un système d’assurance qui n’a jamais été pris en défaut jusqu’à présent.
Vincent Brulhart, Professeur aux Universités de Lausanne et Genève, Avocat à Lausanne