Les caisses de pension ont bénéficié d’une évolution favorable de la bourse. Au début de cette année, le taux de couverture atteignait un niveau record. Puis une descente s’est amorcée

Beaucoup de caisses de pension ont fait leurs devoirs pendant les bonnes années boursières. Elles ont utilisé leurs moyens financiers pour améliorer sensiblement la structure et les bases sur lesquelles elles reposent. Même si actuellement la situation boursière n’est pas très bonne, je suis convaincue que la plupart des institutions de prévoyance sont en meilleure posture qu’après la crise financière de 2008.

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Experte en prévoyance

Kerstin Windhövel (50 ans) est professeure et directrice du centre de compétences sur la prévoyance de l’Institut suisse de formation financière de la Haute Ecole spécialisée en économie Kalaidos à Zurich. Après un doctorat en sciences économiques à l’Université d’Erlangen-Nuremberg, Kerstin Windhövel a été responsable de projet chez Prognos, à Bâle, dans le domaine des assurances sociales, puis professeure de prévoyance vieillesse à la Haute Ecole spécialisée de Berne et à la Haute Ecole d’économie de Fribourg. Elle agit également en tant que consultante en stratégie auprès des institutions de prévoyance.

Les caisses de pension ne risquent-elles pas de se retrouver en difficulté et d’être contraintes de s’assainir ?

Ce qui préoccupe les caisses à l’heure actuelle, c’est que toutes leurs grandes classes d’actifs sont en baisse en même temps. La performance est donc négative pour toutes les caisses. Je ne suis pas voyante mais il est tout à fait possible que les cours de la bourse soient encore plus bas au moment de la prochaine clôture annuelle. Mais ces hauts et ces bas sont typiques des placements à long terme. Par conséquent, certaines institutions de prévoyance pourraient très bien afficher une sous-couverture. Pour autant, il n’y a pas lieu de paniquer. Tant que les fondamentaux tels que le taux d’intérêt technique ou les prévisions de la mortalité sont relevés correctement, je ne vois pas de problème majeur.

« Je ne suis pas voyante mais il est tout à fait possible que les cours de la bourse soient encore plus bas à la fin de cette année. »

Mais les institutions de prévoyance ne prennent-elles pas de trop grands risques afin d’augmenter les rendements dans un contexte de faible rémunération ?

C’est une question d’équilibre. Sans risque, pas de rendement. Celui qui accepte de gros risques est récompensé les bonnes années mais doit essuyer des pertes lorsque la bourse baisse. En ce moment, toutes les caisses sont touchées par la baisse des marchés des capitaux, qu’elles aient mis l’accent sur des obligations ou sur des actions.

Les conseils de fondation maîtrisent-ils le risque ?

Tant qu’ils surveillent correctement les risques et appliquent une stratégie bien définie, les organes de surveillance devraient rester maîtres de la situation. Cela marche très bien pour la plupart des caisses. Malheureusement, ce n’est pas le cas de toutes.

Les institutions de prévoyance doivent se doter d’un système de contrôle interne (SCI). Cela ne suffit pas ?

Non. Le contrôle interne ne peut constater que ce qui s’est déjà produit. Il examine l’année ou l’exercice écoulé, vérifie que le principe de double contrôle a été mis en œuvre ou que les contrats ont bien été signés par les personnes autorisées à le faire. Lorsqu’une anomalie est détectée, cela cause des problèmes et entraîne des corrections de processus. La gestion du risque va beaucoup plus loin que cela. Elle analyse le contrat lui-même et évalue le caractère avantageux ou non de celui-ci pour l’institution de prévoyance. La gestion du risque est un instrument de conduite stratégique qui porte le regard vers l’avenir.

Vous plaidez pour une gestion du risque intégrée. Quels en sont les avantages ?

Un tel instrument de conduite aide à orienter la caisse de pension de sorte qu’elle connaisse exactement les risques et qu’elle ne les prenne volontairement que s’ils se situent dans les marges de la tolérance au risque qu’elle a fixées. Autrement dit, c’est ce que l’institution accomplit, c’est ce qu’elle peut et veut, ni plus ni moins.

Quels sont les principaux points faibles des caisses de pension ?

La différence entre gestion du risque et SCI est souvent ignorée. Il ne s’agit pas d’intégrer n’importe quels critères de SCI à l’outil Excel et d’y cocher les bonnes cases. Les membres de l’organe de direction d’une institution de prévoyance doivent se doter d’une conception commune des risques qu’ils décideront ensemble de prendre pour l’institution tout entière. En clair, ils pourront dire: nous sommes prêts à prendre des risques jusqu’à la limite de tolérance définie, et pas au-delà. Dès que les risques dépassent cette limite stratégique, il faut prendre des mesures destinées à les réduire.

La numérisation, qui se poursuit à grande vitesse, ne facilite-t-elle pas l’identification, l’évaluation et le contrôle des risques ?

Je dirais que les outils numériques permettent seulement de mieux surveiller les risques. Mais quand le conseil de fondation et la direction n’ont pas de stratégie dans ce domaine, cela ne suffit assurément pas.

« Je considère notre système de milice comme très bon, et je n’en changerais sous aucun prétexte. »

Donc l’intelligence artificielle ne fait pas tout ?

Non, heureusement, il y a encore besoin d’êtres humains.

Comment jugez-vous les compétences de conduite et les compétences techniques des membres des conseils de fondation ?

Je considère notre système de milice comme très bon, et je n’en changerais sous aucun prétexte. Il a bien entendu pour conséquence un très large éventail de compétences professionnelles et de conduite. Il est tout à fait judicieux d’associer des professionnels externes à un conseil de fondation pour le doter du savoir-faire qui pourrait lui faire défaut. Mais globalement, la composition des conseils de fondation, qui réunit des membres du personnel, crée une bonne relation affective à l’institution de prévoyance. C’est un élément que j’apprécie beaucoup.

Tout de même, avec la complexité croissante du deuxième pilier, les membres d’un conseil de fondation ne sont-ils pas toujours plus dépendants de compétences externes ?

Oui, certainement. Tant que les décisions d’une caisse de pension se prendront entre l’apéro et le repas du soir, cette situation insatisfaisante persistera. Une chose doit être claire: en acceptant son mandat, la personne qui entre dans un conseil de fondation assume une responsabilité vis-à-vis de l’institution de prévoyance. Elle met en jeu sa fortune privée, et à la moindre négligence d’une «certaine gravité», aucune assurance n’entrera en matière. Cela demande une préparation sérieuse. Il s’agit de lire la documentation, de la comprendre et de poser des questions pour être en mesure de prendre des décisions éclairées.

Qu’en est-il de la formation au sein des conseils de fondation ?

En plus d’une formation de base, leurs membres sont tenus de suivre régulièrement des formations continues. Nombre d’entre eux accomplissent une formation plus poussée avant d’accepter leur mandat au sein de l’organe de surveillance. J’ai par contre un léger doute quant à la formation continue et régulière de tous les membres des conseils de fondation en Suisse.

D’après la dernière étude Swisscanto, seul un tiers des caisses de pension recensées possèdent un règlement sur la formation initiale et la formation continue.

Cela ne m’étonne pas spécialement. D’ailleurs, dans le cadre des cours de formation continue, je vois toujours le même cercle de personnes.

« Si je touche un salaire, celui qui me mandate peut exiger que j’effectue un vrai travail. Lorsque c’est gratuit, c’est plus difficile. »

Une meilleure rémunération serait-elle utile pour élever la qualité des organes de surveillance ?

Absolument. Si je touche un salaire, celui qui me mandate peut exiger que j’effectue un vrai travail. Lorsque c’est gratuit, c’est plus difficile. Pour augmenter la motivation à participer à des cours de formation continue, une rémunération du temps qui y est consacré serait à coup sûr productive.

La proportion de femmes dans les conseils de fondation plafonne à un tiers environ. Que faut-il faire pour améliorer ce chiffre ?

Les femmes travaillent souvent à temps partiel. La personne qui a un job à 50%, par exemple, n’arrivera pas à dégager en plus quatre soirées pour collaborer à un conseil de fondation. L’approche est mauvaise. Pour avoir une plus grande représentation féminine dans ces instances, il faudrait que les séances aient lieu le matin entre 8 heures et midi, durant les heures de travail ordinaires, et qu’elles soient valorisées comme charge de travail, c’est-à-dire payées comme telles.

Voyez-vous davantage d’efficacité ou de qualité dans l’administration des grandes caisses de pension que dans les petites ?

Les caisses de pension sont également concernées par les économies d’échelle. Une de nos études révèle que dans les institutions de prévoyance qui s’occupent elles-mêmes de leur administration, ces économies profitent à leurs assurés, ce qui conduit à des frais administratifs moins élevés et, au niveau le plus bas, à des coûts encore plus faibles, et d’autant plus bas à mesure que le nombre d’assurés augmente. Au contraire, là où les tâches administratives sont déléguées, ce sont les prestataires externes qui bénéficient des économies d’échelle, et non les assurés, du fait que les contrats de services prévoient généralement que les effets d’échelle ne sont pas répercutés à la caisse de pension.

Au cours des deux dernières décennies, le nombre de caisses de pension a pratiquement été divisé par deux. Il en reste un peu moins de 1500. Cette concentration va-t-elle se poursuivre ?

Oui, je m’attends à une poursuite de la diminution de ce nombre. L’évolution sera continue comme jusqu’ici, ou plutôt sporadique, selon les décisions du législateur. Si des dispositions plus sévères sont introduites brusquement, par exemple dans le domaine des rapports à fournir, qui pèsent principalement sur les petites caisses, le processus pourrait même s’accélérer.

N’aurons-nous plus que 500 institutions de prévoyance à la fin de la décennie, comme c’est déjà le cas aux Pays-Bas ?

Nous n’arriverons probablement pas à ce niveau en huit ans. Mais on peut très bien imaginer qu’il n’y ait plus que 1000 caisses de pension chez nous d’ici là.

Déjà trois quarts des assurés actifs sont affiliés à une fondation collective ou communautaire. La Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS) impose à ces caisses de pension de grandes exigences en matière de gouvernance et de stabilité financière. Faut-il renforcer encore ces dispositions ?

Non. Nous avons des règles sévères et le devoir de conformité est fermement ancré dans la loi. A mes yeux, il n’y a pas lieu d’ajouter des exigences à ceux qui respectent les normes actuelles. Une caisse de pension reste différente d’un groupe d’assurances.

Donc il ne faut pas imposer à une grande caisse de pension des règles semblables à celles qui s’appliquent à une compagnie d’assurances ?

Actuellement, je n’en vois pas l’intérêt. Soit on soumet toutes les caisses à une surveillance plus étroite, soit on n’y soumet aucune. Comment fixer la limite sinon?

A la Haute Ecole spécialisée Kalaidos, vous avez mis au point un autotest des caisses de pension. Dans quel but ?

Ce test permet au responsable d’une PME d’obtenir un deuxième avis en plus de celui d’un courtier. On reproche constamment aux courtiers «classiques» de ne proposer à leurs clients que les caisses de pension qui leur rapportent la plus forte commission. Notre test, lui, prend en considération les caisses qui ne rémunèrent pas les courtiers de cette façon.

Mais de nombreuses PME se plaignent du fait qu’elles ne peuvent plus du tout bénéficier d’une assurance complète.

A mes yeux, une assurance complète n’a rien d’attirant. Les frais sont élevés pour une entreprise qui ne veut courir aucun risque en termes d’assainissement, et les assurés touchent une rente relativement basse le moment venu. Avec une solution semi-autonome solide, on s’en sortait nettement mieux jusqu’ici.

« Le système suisse, avec ses trois piliers, est très bien structuré. »

Presque tous les projets de réforme de la prévoyance vieillesse ont été récemment refusés ou alors ils sont bloqués. Est-ce à dire que le système mutualisé de l’AVS, vis-à-vis d’un deuxième pilier basé sur le principe de capitalisation, est appelé à gagner en importance dans un contexte de taux d’intérêt très bas ?

Le système suisse, avec ses trois piliers, est très bien structuré. En tant qu’Allemande ayant choisi de m’établir en Suisse, j’ai très bien connu un système purement mutualisé. Je ne suis pas pressée d’y retourner. Au vu de l’espérance de vie en augmentation, le principe de mutualisation n’est pas adapté à la prévoyance. Pourquoi les réformes proposées ont-elles été rejetées? Parce qu’on essaie sans cesse d’intégrer une composante mutualiste dans un système de capitalisation et que cela ne fonctionne pas.

Quels réglages opérer pour assurer la pérennité de la prévoyance professionnelle ?

Le principal ajustement concerne la part obligatoire, son taux de conversion beaucoup trop élevé de 6,8%, et la déduction de coordination, qui pénalise les femmes travaillant à temps partiel. Concernant les autres paramètres, je ne vois aucun problème structurel. Pour un long terme typique des caisses de pension, avec un horizon de plus de 60 ans, cela fonctionne bien.

Quel est le rôle du troisième pilier ?

Le troisième et dernier pilier est important mais il ne saurait remplacer le deuxième.

Il y a des projets de rachats rétroactifs au sein du pilier 3a, fiscalement avantageux. Est-ce le bon moyen pour encourager davantage l’épargne individuelle ?

J’estime que oui. Le monde du travail a changé. La plupart des gens occupent différents emplois au cours de leur vie, leur salaire peut connaître des baisses. Il est donc d’autant plus intéressant de pouvoir procéder à des rachats à un moment où on peut rattraper les années perdues.