Nous sommes en 2030: Julie Besson, 25 ans, vient d’achever ses études de Data Scientist (experte en données) à l’université et s’apprête à entamer une carrière professionnelle. Plusieurs emplois s’offrent à elle. Chacun de ses employeurs potentiels propose un bon salaire et des possibilités souples de prévoyance vieillesse par le biais de la caisse de pension de l’entreprise.

Retraite, âge, rente? «C’est tellement loin!», se dit Julie. Qui d’ailleurs ne sait pas trop ce qu’elle veut: un jour une famille, des enfants, un logement en propriété? Mais d’abord peut-être gagner de l’argent, jouir de la vie… Elle rêve aussi de voyages et se voit déjà en nomade digitale, détachée de tout domicile fixe, dans un espace de coworking à Bali ou en Algarve, travaillant à distance. Dans les métiers liés à la numérisation, cela va désormais de soi.

Partner-Inhalte
 
 
 
 
 
 

A Berne, en attendant, on évoque d’ores et déjà la retraite à 70 ans. D’ici-là, tant d’eau coulera sous les ponts! Il n’y a donc pas de raison de consacrer trop d’énergie à ce sujet, pense Julie. N’empêche que ses parents et ses grands-parents lui ont recommandé de prendre un certain nombre de décisions de principe et de préparer son avenir sur le plan financier.

En tant que Suissesse, Julie estime avec optimisme que, d’ici à la retraite, il doit être possible d’accumuler assez d’avoirs pour se préparer une vie dénuée de soucis financiers. Mais au fond, où en est aujourd’hui la prévoyance professionnelle? Restera-t-il quelque chose, le moment venu, de tout l’argent cotisé?

La prévoyance demeure complexe

Pour une stratégie de prévoyance judicieuse, les possibilités personnelles de placer son argent ne sont pas seules à jouer un rôle. Les exigences de l’emploi, les profils professionnels varient de plus en plus vite, la conjoncture et l’inflation agissent sur les investissements et les rendements. Sans même parler d’autres risques tels que les maladies, les guerres ou les catastrophes naturelles.

Un bref coup d’œil sur le personnage fictif de Julie montre que le thème de la prévoyance professionnelle reste complexe et demeurera une préoccupation majeure pour les générations à venir.

Trois aspects sont particulièrement importants:

  • L’espérance de vie croissante: plus on devient âgé, plus il faut avoir pris ses précautions. Sur la base des chiffres de 2021, l’Office fédéral de la statistique (OFS) table sur une espérance de vie de 81,7 ans pour les hommes et de 85,8 ans pour les femmes.
  • Une société vieillissante: sur le plan de la prévoyance, c’est le plus gros défi, quand bien même le monde politique devrait considérer le problème depuis des décennies. Rien qu’en 2021, les assurances sociales ont payé en Suisse 2,69 millions de rentes vieillesse et survivants. Selon l’Office fédéral des assurances sociales, le nombre de bénéficiaires a augmenté en 2021 de 1,3%, soit 32 000 personnes par rapport à l’année précédente. La tendance se poursuivra encore quelques années.
  • Le système de prévoyance helvétique a certes très bonne réputation. Mais, côté pérennité des rentes, il a reculé ces dernières années en comparaison internationale. Notamment parce que d’autres pays ont mis en vigueur des réformes en profondeur, comme l’indique une étude d’UBS.

Dans ce contexte, on comprend que l’Etat ne pourra et ne voudra pas régler seul le problème de la prévoyance vieillesse et les employeurs non plus. A l’avenir, il faudra davantage d’initiative personnelle.

Le pilier 3a gagne en importance

Comme dans la plupart des pays, les assurés se voient obligés d’épargner de leur propre initiative une partie de leur revenu vieillesse. Le système de prévoyance suisse permet d’influer à divers niveaux sur la planification de prévoyance individuelle et de prendre ainsi les devants pour améliorer sa situation financière une fois l’âge venu.

Une possibilité permettant d’épargner à sa guise pour sa propre prévoyance est de procéder à des versements volontaires au pilier 3a, fiscalement avantagé. Selon l’étude 2022 de Credit Suisse consacrée à la prévoyance, quelque 60% de la population active du pays verse des contributions plus ou moins régulières à la prévoyance individuelle liée et la tendance est à la hausse.

Reste que les versements effectués par les jeunes de moins de 35 ans sont encore l’exception. Or, en raison des intérêts composés, il vaut la peine de commencer aussi tôt que possible à épargner pour la prévoyance, estiment les experts de Credit Suisse.

Les jeunes misent de préférence sur une épargne en titres durables, indique l’étude 2022 d’Axa consacré à la prévoyance. Mais celle-ci souligne également que plus de la moitié des moins de 30 ans n’ont strictement pas prévu de 3e pilier pour leur prévoyance, 66% des jeunes interrogés estimant qu’il est trop tôt pour le faire.

La durabilité est incontournable

En matière d’investissements dans des produits de prévoyance, on constate une tendance croissante vers plus de flexibilité et de durabilité. Certes, il en va toujours de son propre avenir mais il n’est plus question de simplement faire de l’argent. Pour la jeune génération, ce qui compte, c’est de faire quelque chose pour l’environnement, le climat, pour des projets motivants, tels que l’énergie solaire ou éolienne, la protection des espèces animales, ou des projets sociaux.

Aron Veress, CEO de Liechtenstein Life, constate de manière générale des attentes plus grandes de la part des jeunes clients: «Depuis quelques années, les solutions d’assurances durables sont nettement plus demandées.» Pour ces produits de prévoyance orientés sur le long terme, il y a des exigences particulières: «Les jeunes ne veulent pas simplement une prévoyance financièrement optimale, ils veulent aussi, quand ils prendront leur retraite dans vingt ou trente ans, trouver un environnement qui en vaille encore la peine.» Les prestataires de solutions de prévoyance doivent donc tenir compte de ces attentes et être en mesure de proposer les fonds adéquats.

Reto Ringger, CEO de Globalance Bank, y voit un progressif changement de perspective dans la société. La notion de rendement financier du capital investi s’étend toujours plus à une dimension de qualité de vie. De sorte que l’aisance financière signifie aussi santé, environnement sain, disponibilité des ressources et biodiversité suffisante. «Si nous nous rendons compte que nous mettons notre bien-être en danger par des concepts vieillis, alors nous devons développer de nouveaux modèles», souligne Reto Ringger, tout en admettant que ces concepts n’ont pas encore été suffisamment discutés.

Le numérique au lieu du tête-à-tête?

En matière de conseil en prévoyance, jusqu’ici, le Suisse moyen privilégiait dans quatre cas sur cinq un entretien personnel et se rendait directement dans une agence d’assurances pour conclure un contrat. En va-t-il toujours ainsi?

Ces deux dernières années, la pandémie a changé pas mal de choses. La tendance à être toujours atteignable, omniprésent et connecté sur tous les réseaux s’est renforcée. Les Suisses sont clairement en chemin vers l’ère numérique.

A la question de savoir si, désormais, le conseil en prévoyance doit se dérouler en présentiel ou en virtuel, les réponses divergent. Aron Veress pense: «Même à l’ère numérique, le conseil en prévoyance demeure une affaire de confiance.» C’est pourquoi, à son avis, bon nombre de clients continueront de préférer la méthode classique du conseil personnalisé.

Professeur de sciences économiques à la Haute Ecole de Lucerne, Nils Hafner plaide avec insistance pour que le conseil personnalisé reste au cœur de la prise en charge des clients. «Lors d’un entretien en tête-à-tête, il est plus aisé de satisfaire de manière compétente aux questions et aux souhaits du client.»

Cela dit, dans la pratique, les prestataires de prévoyance observent toujours plus un «comportement hybride» des clients, relève par exemple Jürg Thalmann, porte-parole de La Mobilière. Selon lui, les clients recourent aux offres numériques puis, pour compléter, souhaitent un conseil individuel.

L’Insurance Consumer Survey du géant de l’audit Deloitte confirme cette inclination hybride des clients. Pour 41% des personnes qu’il a interrogées, le conseil personnalisé reste la source d’information principale pour conclure un contrat, tandis que 27% préfèrent s’informer par eux-mêmes, à diverses sources et en général en ligne.

On constate aussi que pour les générations plus jeunes les solutions de prévoyance numériques deviennent une routine et que le conseil se cantonne toujours plus aux canaux numériques. L’étude 2022 qu’Axa consacre à la prévoyance indique que plus de la moitié des moins de 30 ans peuvent très bien s’imaginer signer un contrat en ligne. Les personnes au-dessus de 50 ans ne sont plus qu’un tiers à l’envisager. Pourtant, les jeunes sont 48% à miser sur des prestataires établis (banques et assurances), contre 20% qui préfèrent les nouveaux prestataires purement numériques.

Plus de confort et de flexibilité

Simple, intuitif, en tout temps et en tout lieu: de nos jours, ce sont surtout les jeunes clients qui attendent d’un conseil sur la prévoyance (ou autre) un service rapide et sûr, de même que des réponses 24h/24. «Il faut, d’une part, davantage d’offres et de services numériques, et, d'autre part, des applications faciles à utiliser, très orientées client», insiste Aron Veress, CEO de Liechtenstein Life. Mais cela reste une gageure de faciliter l’accès de la jeune génération à une prévoyance autonome par l’«intuitive user experience» ou la «gamification». Les sites en ligne doivent par conséquent être simples à utiliser et proposer des contenus attrayants, des possibilités de contact souples.

Les prestataires de produits de prévoyance réagissent de plus en plus au vœu de confort et de flexibilité accru par des offres dites «omnicanal». Mais suffit-il d’être simultanément présent sur tous les canaux, autrement dit en tête-à-tête, par téléphone et courriel, sur une app, un chat, en ligne et sur les réseaux sociaux? Selon Nils Hafner, une communication efficace pour l’avenir fait surtout la part belle aux besoins du client.

C’est pourquoi la numérisation ne suppose pas que des logiciels fiables, mais surtout une orientation claire de la stratégie. «La numérisation n’est vraiment pertinente que si elle sert les intérêts de la clientèle», ajoute Nils Hafner. Pour lui, il y a une plus-value à mieux coordonner les actuelles possibilités de communication, que ce soit en ligne ou non. Car nul n’a envie d’expliquer au téléphone ou par Skype à l’expert en prévoyance ce qui a déjà été discuté à l’agence avec un collaborateur. Le client part de l’idée que les assurances le savent et qu’il n’a pas besoin de raconter plusieurs fois son histoire.

Cela dit, une expérience client complète suppose que des données soient collectées en suffisance. C’est de plus en plus important et la loi prévoit que cela se fasse en plein accord avec le client, ajoute l’expert. La révision de la loi sur la protection des données est en cours et elle devrait entrer en vigueur le 1er septembre 2023.

Résoudre les problèmes avant tout

Qu’est-ce qui figure au cœur des réflexions et de l’évolution de la stratégie des institutions de prévoyance en matière de numérisation accrue et d’omnicanal? Pour Nils Hafner, une expérience client sans accroc s’avère cardinale, avec l’intention claire de réduire l’effort de la clientèle pour choisir les produits et les prestations, signer le contrat et répondre aux questions qui lui sont liées. Autrement dit, résoudre les problèmes et éviter de triompher.

Evoquant les assureurs, Nils Hafner conclut par conséquent: «La technologie et les outils de gestion visant à évoluer vers une multi-expérience existent aujourd’hui déjà. La tâche de ces prochaines années sera de stimuler le changement dans les têtes et de le mettre en œuvre au sein de l’entreprise.»

A quoi ressemblera donc le monde de la prévoyance de demain? En ligne, hors ligne ou hybride? Lors du Forum de HZ Insurance de cette année, Nils Hafner a répondu au public d’experts de l’assurance et du courtage: «Il s’agit en tout premier lieu de ne pas contrarier la clientèle.»

Prévoyance futée sur app

Jusqu’ici, les assureurs étaient avant tout soucieux de mettre en place ou d’étoffer leurs services numériques et leurs canaux de vente. Avec la génération Z, ils affrontent le défi de réunir canaux physiques et numériques. Pour des membres de la génération Z typiques, les canaux en ligne et hors ligne sont équivalents aussi bien dans la phase de conseil qu’au moment de l’achat.

C’est ainsi qu’ils attachent une grande importance aux suggestions d’amis ou de proches. Ils peuvent parfaitement imaginer aussi d’organiser leur prévoyance sur une app. Les offres permettant d’investir sans trop de frais de l’argent dans des 2e et 3e piliers, avec l’aide d’un gestionnaire de fortune numérique, foisonnent. Sur la base d’algorithmes, ces Robo-Advisors prennent soin des placements des clients. En général, l’investissement est possible même à partir d’un montant minimal modeste. La stratégie d’investissement se définit par des clics, on peut en changer et gérer ses avoirs en toute sérénité.

«Les jeunes développent peut-être même de la confiance dans un algorithme vu comme partenaire de leurs décisions d’investissement», pense Aron Veress. Cela peut fonctionner si une plateforme est conçue de façon substantielle et durable. La fiabilité suppose que, pour leurs décisions financières, la plateforme doit accompagner les clients de manière sûre par-delà les années. Reste qu’Aron Veress juge élevés les aléas d’un tel système entièrement piloté par une machine.

De manière générale, le recours à des machines «intelligentes» passe encore pour un sujet délicat, surtout pour ce qui est d’un conseil conçu pour répondre à des besoins individuels. Le débat sur les opportunités et les risques du recours à l’intelligence artificielle, y compris la mise à disposition des données nécessaires, n’en est qu’à ses débuts. TA-Swiss, fondation d’évaluation des choix technologiques, convoque la science pour satisfaire aux exigences: «La recherche doit œuvrer à des solutions comportant des applications d’IA dignes de confiance.» Et ces applications doivent aussi satisfaire aux exigences d’éthique et de durabilité.

Plus de droits pour les assurés

La révision de la loi sur le contrat d’assurance est en vigueur depuis le début de cette année. A plusieurs égards elle renforce les droits des assurés et autorise des processus de prise d’assurance en phase avec l’ère numérique. Les exigences en matière de prescriptions formelles ont notamment été assouplies. La communication numérique (courriels), qui laisse une trace écrite, est désormais autorisée à côté du courrier, ce qui simplifie notablement les interactions entre le preneur d’assurance et l’intermédiaire. Les prestataires fortement numérisés peuvent ainsi optimiser leur processus dans l’intérêt du client.

Par ailleurs, le droit de résiliation du preneur d’assurance a été renforcé. Désormais, il peut se départir d’un contrat dans un délai de 14 jours et le faire même par courriel.

Plus d’épargne fiscalement favorable

La prévoyance vieillesse privée sera également mieux soutenue par la loi. Les choses bougent. Pour le Conseil national, les salariés doivent pouvoir verser jusqu’à 15'000 francs par an au pilier 3a, soit plus du double de l’actuel montant déductible des impôts. On attend la décision du Conseil des Etats.