René Harlacher, Chief Underwriting Officer auprès de Zurich Suisse, présente dans notre entretien es risques qui font actuellement l’objet de toutes les attentions et explique pourquoi de tels événements, qui pourraient causer des dommages extrêmes à l’économie suisse dans le cas d’une pénurie d’électricité, ne peuvent être maîtrisés qu’en unissant nos forces. 

Daniel Schriber : Monsieur Harlacher, les événements majeurs tels que les tremblements de terre ou les pandémies sont extrêmement rares. Pourquoi le secteur de l'assurance s'y intéresse-t-il malgré tout autant ?

René Harlacher : Les différents risques majeurs ont un point commun :  ils se produisent rarement, mais leur potentiel de dommages est immense. La pandémie que nous venons de traverser en est une parfaite illustration. Il est donc d'autant plus important que la société se penche sur ces questions suffisamment en amont.

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Portrait : 
René Harlacher est responsable du groupe de travail Risques majeurs en tant que membre du comité non-vie ASA. Depuis août 2016, il est Chief Underwriting Officer auprès de Zurich Suisse. Auparavant, il a occupé différents postes de direction auprès d’Axa Winterthur, notamment celui de responsable de la clientèle entreprises, de responsable Souscription et de responsable Business Development Property & Casualty. Âgé de 41 ans, il est titulaire d’un Master of Science en informatique de gestion de l’université de Zurich.

Nombre de dommages collatéraux de la pandémie de coronavirus ont mis un certain temps avant de transparaître au grand jour. Pouvons-nous vraiment nous préparer suffisamment à de tels événements ?

En fait, la pandémie a eu des conséquences très lourdes que personne n’avait imaginées. Le virus n'a pas seulement entraîné des problèmes de santé, il a également paralysé une grande partie de l'économie et créé des tensions au sein de la société. Cette expérience est la raison pour laquelle notre secteur redouble d’efforts afin de nous prémunir au mieux contre de tels risques majeurs. Nous entendons être mieux préparés pour affronter les événements de demain.

Mais justement : est-ce vraiment possible ?

La situation de départ diffère en fonction du type de risque considéré. En ce qui concerne les risques naturels, nous disposons d’un grand nombre de données diverses et variées qui, pour certaines, ont été collectées pendant des siècles. C’est pourquoi nous sommes déjà en mesure de modéliser ce type de risques de manière assez précise. Pour d'autres dangers, nous ne disposons ni des données ni de l'expérience nécessaires.

Quelles sont les principales questions qui se posent lors de l'évaluation des risques majeurs ?

Un point essentiel porte sur l'évaluation des dommages potentiels pour l'économie dans son ensemble, mais aussi pour le secteur de l’assurance. La période de récurrence potentielle d'un événement est déterminante en matière d’évaluation du risque qu’il représente, car elle exerce un impact direct sur la mise en œuvre des offres d'assurance.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Alors qu'un séisme de grande amplitude ne se produit que tous les 500 ans environ, une forte chute de grêle peut survenir tous les 30 ans. Cela se répercute bien évidemment sur le calcul des primes. En principe, il s'agit de déterminer l'ampleur des dommages qu’un événement est susceptible d’entraîner et, sur cette base, d’articuler des produits d'assurance de la manière la plus pertinente possible.

« Il y a urgence à trouver des solutions pour les tremblements de terre, les pénuries d'électricité et les cyberattaques à l’échelle mondiale. »

Sur quels risques vous concentrez-vous actuellement ?

Il y a urgence à trouver des solutions pour les tremblements de terre, les pénuries d'électricité et les cyberattaques à l’échelle mondiale. En collaboration avec une équipe de projet composée de représentants de l’Association Suisse d’Assurances (ASA), nous nous efforçons actuellement de formuler des recommandations concrètes pour faire face à ces risques spécifiques. D’ici la fin de l’année, nous devrions disposer des résultats de ces travaux.

Comme vous l’avez déjà mentionné, un séisme de grande amplitude se produit tous les 500 ans environ. Pour nombre de nos concitoyennes et concitoyens, un tel événement semble difficilement imaginable.

C'est compréhensible, mais dangereux. Si l’aléa sismique n’est effectivement que moyennement élevé en Suisse, un tremblement de terre est néanmoins susceptible de provoquer des dégâts considérables en raison de la densité d’urbanisation et de la concentration élevée de valeurs matérielles.

« Avec le pool pour la couverture des dommages causés par les forces de la nature, la Suisse dispose d'une caisse solidaire unique au monde. »

Vous pourriez être plus précis ?

Le plus fort tremblement de terre documenté en Suisse s'est produit en 1356, il y a donc 666 ans. À l'époque, un séisme de magnitude de 6,6 avait ébranlé la ville de Bâle. D’après les modélisations correspondantes, un événement comparable se traduirait aujourd'hui par 1000 à 6000 morts, 60'000 blessés graves et légers, 1'600'000 sans-abri temporaires – et des dommages matériels de l’ordre de 50 à 100 milliards de francs. Malheureusement, la population n’a pas encore pris suffisamment conscience du pouvoir dommageable de tels risques. Par ailleurs, en Suisse, les tremblements de terre ne sont pas suffisamment couverts par l'assurance obligatoire des bâtiments.

Comment cette lacune d’assurance pourrait-elle être comblée ?

Avec le pool pour la couverture des dommages causés par les forces de la nature, la Suisse dispose d'une caisse solidaire unique au monde. Le pool des dommages naturels porte au total sur neuf dommages naturels – dont les inondations, les avalanches, les tempêtes, les chutes de pierres et de grêle. Cette solution d'assurance exemplaire permet à tous de bénéficier d'une assurance complète contre les dangers naturels à un prix abordable. Une solution similaire serait également envisageable pour les tremblements de terre. Ce que beaucoup ignorent peut-être : cette lacune d'assurance peut d'ores et déjà être comblée en souscrivant une assurance tremblement de terre privée à titre facultatif.

À l’heure actuelle, les politiques n’ont pas envie non plus d'une assurance pandémie. Et ce, bien qu'une proposition en ce sens ait déjà été formulée. Que pensez-vous de cette décision ?

Il y a plusieurs explications à cela,  et l'aspect financier joue certainement un rôle non négligeable. Sans parler du fait que beaucoup ressentent une sorte d’« écœurement » par rapport à tout ce qui touche la pandémie. Après deux ans d’état d’urgence, ils n’ont plus envie de se pencher sur ce sujet – alors que ce serait justement l’occasion idéale de poser les bons jalons pour l’avenir. Si nous ne la saisissons pas, lors de la prochaine pandémie, nous serons confrontés aux mêmes problèmes que ces deux dernières années.

Est-ce que ce serait si grave ? Après tout, la Suisse a traversé la crise du coronavirus sans trop de dommages.

On peut bien sûr voir les choses ainsi. Nombreux sont ceux qui pensent qu'en cas d'urgence, il y aura toujours quelqu'un pour prendre en charge les frais occasionnés. Toutefois, le fait est, qu’au cours des années à venir, nous allons devoir réduire notre endettement. Avec une assurance pandémie, nous aurions la chance d’accumuler petit à petit les fonds nécessaires et d’être ainsi prêts pour la suivante. Il en va d'ailleurs de même pour d'autres risques majeurs comme les pénuries d'électricité.

« Actuellement, il n’existe quasiment aucune assurance qui couvre les pannes de courant généralisée et de longue durée. »

Comment serions-nous préparés à un tel événement ?

Actuellement, il n’existe quasiment aucune assurance qui couvre les pannes de courant généralisée et de longue durée. Et ce, bien que la Confédération estime, dans son analyse des risques « Catastrophes et situations d'urgence en Suisse 2020 », que les problèmes liés à l'électricité constituent le risque majeur par excellence pour la population et les entreprises en termes de probabilité d'occurrence et de dommages attendus.

Les cyberattaques relèvent aussi des risques majeurs : les entreprises en Suisse sont-elles suffisamment préparées pour faire face à de telles attaques ?

Si la prise de conscience est sans aucun doute plus élevée que dans d'autres domaines, nous ne sommes néanmoins pas encore beaucoup plus avancés en termes de pénétration de ce produit d'assurance. Bien que nombre de compagnies d’assurances proposent déjà des solutions intéressantes pour couvrir les cyberrisques, près de 90 pour cent de leurs entreprises clientes n’en ont pas encore souscrites. Que se passerait-il si une attaque survenait un jour et paralysait des pans entiers de l'économie sur une longue période ? Nous ferions bien de nous préparer le mieux possible aux pires des scénarios envisageables.

Quel est le rôle de la prévention en la matière ?

C'est justement dans le domaine des cyberrisques que la prévention revêt une extrême importance. Alors que les grandes entreprises dotées de leurs propres services informatiques prennent déjà des mesures, il fautcontinuer à éveiller la conscience des PME à cette problématique.

Pour terminer, jetons un coup d'œil dans la boule de cristal :  serons-nous mieux préparés à l'avenir face aux risques majeurs ?

Les pandémies, les cyberattaques à grande échelle ou les conséquences économiques des pénuries d’électricité ne peuvent être maîtrisées que sous certaines circonstances dans le cadre de partenariats public-privé passés avec la Confédération et les cantons. Comme nous l'avons mentionné, nous, assureurs privés, sommes en train d'élaborer des propositions de solutions appropriées. Il ne reste plus qu'à espérer qu'elles seront ensuite entendues.